Retrouvez ci-dessous une interview de Michel Dinet, Président du Conseil Général de Meurthe-et-Moselle, réalisée par Paroles d’Actu.

Paroles d’Actu : Quel bilan faites-vous du quinquennat de Nicolas Sarkozy ? Je pense notamment à une thématique qui touche particulièrement votre région, la Lorraine, à savoir l’industrie ?

Michel Dinet : Le bilan du candidat sortant est lourd. Sur deux thèmes aussi majeurs que l’emploi ou les finances publiques, les échecs sont hélas retentissants.

Sur le front de l’emploi : en cinq ans, le pays compte 1 million de chômeurs en plus touchant désormais 10% de la population active. La Lorraine n’aura pas été épargnée puisque l’emploi industriel a fortement reculé au cours de ce quinquennat avec la perte de près de 20 000 postes. Sur les dix dernières années, 45 000 emplois industriels ont été détruits dans notre Région. Sur ce point, la politique du candidat sortant aura été celle du renoncement symbolisé par la plaque des promesses non tenues du Président installée par les salariés d’Arcelor Mittal à Gandrange.

Sur la question des finances publiques : entre 2007 et 2010, la dette est passée de 64,2% à 82,3% du PIB. En 2012, après 10 ans de gestion par le parti au pouvoir, le niveau de la dette atteint un record historique : la dette atteindra 1800 milliards d’euros, deux fois plus qu’en juin 2002 (900 milliards).

En plus de l’échec des politiques menées depuis 5 ans, ce que je reproche avec force au président sortant est le soin porté au cours de ces années à susciter les clivages et les divisions, à désigner des boucs émissaires, à détricoter ce qui fait solidarité et lien entre nous. Ce quinquennat aura fragilisé comme jamais les fondements mêmes de notre République. La fin de la campagne ne fait que confirmer ce malaise lorsque sous prétexte de parler aux électeurs du Front National, le candidat sortant en légitime les thèses.

PdA : Dans notre système administratif, les départements sont en première ligne en matière d’interventions à caractère social. En tant que président du Conseil général de Meurthe-et-Moselle, en tant qu’élu local, en tant que simple citoyen, comment vivez-vous la crise que nous traversons actuellement ? Quels sont ces signes qui ne trompent pas ?

M.D. Vous faites bien de préciser que les départements sont en première ligne lorsque la situation économique et sociale se dégrade. C’est le cas depuis le début de cette crise en 2008, hier financière et désormais économique et sociale.

Les signes en effet ne trompent pas. La demande sociale est en forte augmentation. Le poids des trois allocations individuelles de solidarité ne cesse de progresser depuis le transfert de l’APA (allocation personnalisée d’autonomie, ndlr), du RSA (revenu de solidarité active, ndlr) et de la PCH (prestation de compensation du handicap, ndlr) vers les départements. Entre les recettes assurées par l’Etat (au moment du transfert) et la réalité des dépenses engagées par le département (dépenses obligatoires fixées par la loi), le décalage à ce jour est de 245 millions d’euros à la charge du département (l’équivalent du tiers d’un budget annuel pour notre collectivité).

D’autres dispositifs que nous pouvons qualifier « de témoin », sont depuis longtemps passés au rouge. Il s’agit de dispositif comme : les aides d’urgence en forte augmentation, les demandes d’intervention du Fonds de Solidarité Logement avec une recrudescence des impayés de loyers ou d’énergie, une augmentation forte de bénéficiaires du RSA mais aussi un accroissement de placements d’enfants mineurs.

Nous oublions trop souvent que les premières victimes d’une crise sont les enfants. L’accroissement du nombre d’enfants placés témoigne ainsi des difficultés de nombre de parents et de familles fragilisés. Ces situations dramatiques sont le lot quotidien de nos travailleurs sociaux.

Le poids des allocations individuelles de solidarité progresse aussi fortement.

En tant qu’élu local, ma responsabilité est de tout mettre en œuvre pour répondre aux besoins de nos concitoyens en difficulté.

En tant que citoyen, je suis révulsé par cette dérive verbale faisant des chômeurs, des pauvres ou des immigrés les responsables de nos difficultés.

PdA : Le 22 avril, Marine Le Pen a réalisé un score historique pour le Front National : 6,4 millions d’électeurs. En Lorraine, elle dépasse nettement sa moyenne nationale, à quasiment un quart des suffrages exprimés. De par votre expérience sur le terrain, de par le dialogue que vous pouvez avoir avec vos administrés, comment expliquez-vous un tel score ? Vous inquiète-t-il ? Quelles peuvent être les solutions, d’après vous, pour faire baisser l’extrême-droite en France ?

M.D. : Je ne veux pas stigmatiser ceux qui ont choisi Marine Le Pen au 1er tour. Il y a ceux qui sont sensibles aux thèses xénophobes et égoïstes. Il faut absolument combattre leurs idées. Il y a ceux qui sont en désarroi total. Après ce quinquennat, force est de constater qu’ils sont plus nombreux… Il faut les écouter, les entendre et parler avec eux sans être démagogue. Il faut répondre au sentiment d’abandon et de déclassement qu’ils expriment.

Plus fondamentalement, il est impératif d’établir des liens étroits et plus dynamiques entre la politique nationale et les citoyens pour que ceux-ci aient une compréhension du pouvoir national et de son lien avec leur quotidien. Dans une République décentralisée cela passe par plus d’harmonie et de cohérence entre les politiques nationales et les politiques locales, entre Etat et collectivités locales. Le gouvernement actuel a fait l’inverse : haro contre les collectivités locales, les compétences locales, la fiscalité locale, …

Une République rassemblée, un Etat respecté parce que respectable (faut-il redire combien le vocabulaire même du Président sortant a abîmé cette respectabilité), des collectivités à qui l’Etat fait confiance, des citoyens écoutés et auxquels il est proposé de s’engager au service du bien commun, c’est la seule manière à la fois de répondre au désarroi qu’expriment les gens qui votent Front National et de retrouver la sérénité dont notre République a besoin.

PdA : Cette élection présidentielle et ses résultats sont l’occasion de nous poser un certain nombre de questions sur l’état de notre société. Quels sont aujourd’hui, pour vous, les problèmes majeurs auxquels est confronté notre pays ? Comment y remédier ?

M.D. : Nous connaissons globalement les principaux problèmes auxquels notre Pays est confronté. Les solutions préconisées par la gauche sont différentes de celle de la droite et à fortiori très éloignées de celles de l’extrême droite.

Ceci dit, le candidat que je soutiens a placé au cœur de cette campagne présidentielle trois axes majeurs.

Le premier concerne la jeunesse : en permettant à la nouvelle génération de vivre mieux que la précédente, nous remettons au cœur de cette campagne l’idée de progrès. En d’autres termes, il s’agit de redonner confiance en l’avenir, en permettant à chacun de se projeter non pas dans un futur incertain mais dans un futur plus serein. Après ces 5 années passées, nous avons besoin d’apaisement et de sérénité pour « retricoter » tout ce qui a été abîmée, brutalisé.

Ce premier axe touchera autant l’éducation nationale que les politiques de l’emploi.

Le second élément relève de la justice fiscale. Nos concitoyens sont prêts à faire des efforts pour peu qu’ils soient partagés et justes. La question fiscale est au cœur de la citoyenneté. Chacun doit ainsi pouvoir contribuer à la chose publique à la hauteur de sa capacité contributive. Cette réforme est donc impérative pour mettre fin à une inégalité fiscale devenue insupportable pour la majorité de nos concitoyens qui ne peuvent échapper à l’impôt par divers dispositifs « d’optimisation fiscale » utilisés par les fortunés.

Le troisième axe touche à l’emploi. Avec plus d’un million de chômeurs supplémentaires, le pays souffre d’un chômage structurel qui n’est pas une fatalité. Il y a urgence à soutenir l’activité en réorientant une part importante des exonérations octroyées sans que les résultats soient au rendez-vous (heures supplémentaires défiscalisées devenues un frein à l’embauche, allégement de la TVA dans la restauration sans création d’emplois,…). Nous savons qu’une partie des solutions se décideront aussi au niveau européen. En indiquant qu’il renégocierait le traité européen avec la volonté d’y inclure une clause de croissance, François Hollande fait bouger les lignes des principaux acteurs européens.

PdA : « Retour » à l’économie… La crise de la sidérurgie ne cesse de faire partie intégrante de la vie de votre région, entraînant souffrances sociales et déséquilibres économiques. Quelle est la situation aujourd’hui ? Y’a-t-il de nouveaux grands projets en cours ? Quelles sont à vos yeux les clés pour recréer du dynamisme, reproduire de la richesse, y compris industrielle, sur nos territoires ?

M.D.La situation économique de la Lorraine reste particulièrement fragile. Je l’ai dit précédemment, l’emploi industriel a souffert mais d’autres secteurs ont été touchés. Dans l’éducation nationale par exemple, l’académie de Nancy-Metz a été la plus touchée de France avec la suppression de 841 postes (dont 822 d’enseignants) en 2011. A cela s’ajoute aussi les restructurations militaires opérées à partir de 2008 et ayant entraîné la perte de plusieurs milliers d’emplois mettant à mal l’économie locale de proximité.

Malgré ces chocs, la Lorraine continue à posséder d’indéniables atouts. C’est tout le sens du travail que j’ai engagé à la demande du Président Masseret au sein du Conseil Régional à travers Lorraine 2020. Cette démarche a pour ambition de fixer un cap à atteindre pour la Lorraine en s’appuyant sur ses atouts tout en essayant de traiter ses faiblesses.

Plutôt que d’essayer de résumer imparfaitement tout le travail que nous avons engagé dans le cadre de Lorraine 2020 pour créer les conditions d’un autre développement pour demain, je vous invite à prendre connaissance de deux documents importants : les actes du séminaire de novembre 2011 et le programme d’actions qui en découle (en pièce jointe).

(M. Dinet m’a transmis deux documents, ne pouvant les joindre à ce texte, je vous propose le lien du site de la région traitant de Lorraine 2020, ndlr)

PdA : Pourquoi est-il souhaitable, à vos yeux, que François Hollande soit élu président de la République le 6 mai prochain ? Quel message souhaiteriez-vous adresser à nos lecteurs pour les en convaincre ?

M.D. : Nous avons le besoin impératif d’une action publique redevenue sereine et attentionnée à chacun de ses citoyens et de ses territoires.

Plus que jamais notre beau pays de France a besoin de fonder sa solidité sur trois piliers :
–    celui d’un Etat respecté parce que respectable,
–    celui des collectivités locales mobilisées dans la diversité des territoires et considérées à nouveau comme acteurs du redressement de notre Pays
–    un troisième pilier dont on ne parle pas assez, celui de l’initiative et de l’engagement des citoyens rassemblés pour que solidarité d’engagement fasse écho à une solidarité de droit.

(Source : Paroles d’Actu)